Je viens de recevoir la transcription de mon intervention au colloque de l'Avicca le 18 novembre.
Patrick
VUITTON
Je vais m’adresser maintenant aux deux représentants d’opérateurs d’opérateurs qui répondent aux projets de collectivités et qui doivent être en même temps sensibles à la clientèle des opérateurs que l’on a évoquée tout à l’heure. Tout d’abord Jean-Michel SOULIER, président de Covage.
Jean-Michel SOULIER, Président -
Covage
Merci,
c’est effectivement la bonne introduction : nous travaillons avec les
collectivités et nous sommes sensibles aux demandes des opérateurs.
En
préambule, je voudrais dire et confirmer que la France me paraît être en
avance. Nous entendons beaucoup parler de projets dans pas mal de pays du monde
et nous nous apercevons en regardant dans le détail qu’il n’y a pas nécessairement
la richesse d’offres qui existe en France, qu’il n’y a pas toujours les niveaux
de prix très compétitifs que nous connaissons en France, et que parfois même le
déploiement n’est pas du tout aussi avancé qu’on veut bien le dire. La France
est donc assez bien placée, mais le problème que nous avons, en nous
positionnant au niveau international, est que nous ne savons pas trop bien le
faire savoir.
Pourquoi
la France est-elle en avance ? En premier lieu, c’est une évidence, il
faut reconnaître toute la créativité et l’avance technologiques des opérateurs
français, ainsi que les investissements qu’ils ont bien voulu consentir dans le
haut débit. Nous avons des offres en France qui, techniquement, n’existent pas
ailleurs, même dans les pays dits très avancés. Deuxième point, qui me paraît
totalement naturel sur les causes et les raisons pour lesquelles la France est
en avance, ce sont les réseaux d’initiative publique. Je pense que c’est une
expérience qui a un grand succès, et qui mérite d’être regardée et exploitée
dans les développements futurs.
En
ce qui nous concerne, nous avons déployé 14 réseaux d’initiative publique,
3 500 km de fibre, et cela couvre un investissement de
240 millions d’euros, ce n’est donc pas neutre. Il s’agit d’un
investissement important, qui n’est peut-être pas au niveau de ce qu’il
faudrait faire, 30 milliards d’euros dans le FTTH, mais qui est quand même
un bon modèle. Nous constatons qu’il y a sur nos RIP plusieurs centaines de
milliers de personnes qui bénéficient du haut débit grâce aux réseaux de
collecte, voire aux investissements directs qui ont été faits dans l’ADSL. Cela
peut paraître peu par rapport au marché global du haut débit en France, mais ce
sont des personnes qui n’auraient effectivement pas eu accès au haut débit sans
les réseaux d’initiative publique, ramené au réel périmètre, c’est énorme. Il y
a aussi un marché souvent oublié en matière de haut débit, celui des
entreprises, les grandes et surtout les PME. Sur nos réseaux, nous couvrons
700 zones d’activité et nous avons décidé de déployer la fibre dans
chacune des zones d’activité au pied de chaque entreprise de façon à pouvoir
les raccorder rapidement et à des coûts faibles. C’est une expérience qui non
seulement montre l’intérêt du très haut débit pour les entreprises, mais qui
nous donne également une expérience de travail avec les opérateurs dans un
cadre d’opérateur d’opérateurs en répondant à leurs spécifications et à leurs
besoins particuliers.
Les
réseaux d’initiative publique sont donc importants à prendre en compte dans les
déploiements du très haut débit. Lorsque les idées d’un plan gouvernemental ont
commencé à être exprimées, on nous a dit : « les réseaux
d’initiative publique c’est bien, mais cela a pris longtemps et nous voulons aller
très vite et faire rapidement quelque chose ». Je pense que la sagesse est
de dire, comme le disait le rapporteur de la loi sur la fracture numérique, que
le fait d’avoir un plan gouvernemental dans le FTTH est probablement une
opportunité pour faire en dix ans ce qui prendrait 30 ou 40 ans
normalement. Mais il n’est absolument pas possible de faire en un an ou deux ce
déploiement.
D’ailleurs,
c’est un peu l’enseignement que je retire de la réflexion sur les différentes
zones : la zone 1 nous intéresse beaucoup, non pas parce que nous
souhaitons y investir, on ne le fera pas sauf exception, mais parce que nous
voyons là s’exprimer toutes les problématiques de rapports entre opérateurs, de
mutualisation, de réglementation. Comme il y a un peu d’avance dans la zone 1,
c’est un modèle qui va se développer et qui nous permettra d’être plus
efficaces dans les autres zones. Cela nous montre aussi que les choses trop
compliquées ne vont pas très vite. On demande aux opérateurs de se mettre
d’accord entre eux, mais les forces de la concurrence et du secret des affaires
sont souvent plus importantes que les forces de l’intérêt commun, et c’est donc
très compliqué. Sur les zones 2 et 3, le modèle est pour nous
évident : c’est celui des réseaux d’initiative publique qui, bien sûr, ne
doit pas être reproduit totalement à l’identique parce que les enjeux et les
problématiques sont différents, mais qui doit être le germe de ce qu’il est
possible de faire.
Il
y a effectivement un plan gouvernemental, qui n’est peut-être pas élaboré de la
façon habituelle puisque nous avons l’habitude que l’on nous propose des
schémas sur lesquels nous pouvons réfléchir et ensuite faire des contributions.
Là, cela se passe davantage sous forme verbale et de consultations en aparté.
Mais il y a suffisamment d’éléments qui filtrent et si l’on recroise les
informations des uns et des autres, nous finissons par en avoir une idée
claire. Dans ce plan, ce que personnellement je n’aime pas trop, c’est la
notion d’appel à projets : généralement cela veut dire que l’on souhaite
une multiplicité d’expérimentations les plus diverses possibles de façon à
trouver ensuite quelque chose qui sera peut-être un peu mieux que le reste et
qui permettra d’avancer. Or, justement, ce dont nous avons besoin, c’est plutôt
d’un schéma directeur normalisé avec un plan permettant à chacun d’avancer dans
un cadre connu. C’est exactement ce qu’exprimaient les opérateurs et je suis
tout à fait d’accord avec eux. Les appels à projets se rapprochent un peu plus
de ce qui se pratique dans le plan OBAMA aux Etats-Unis, ou dans certains pays
d’Europe, où il y a une multiplicité de petits opérateurs locaux. On dit à
chacun, alors qu’ils n’auront de toute façon pas les moyens de faire du haut
débit ni du très haut débit : « proposez-nous un projet bien ficelé
et nous vous donnerons un peu d’argent pour vous aider à investir ». Nous
voyons déjà que cela ne marche pas trop bien dans ces pays, et ce n’est
absolument pas le cas de la France, où nous avons 3 ou 4 gros opérateurs et des
réseaux d’initiative publique dont les plus significatifs sont regroupés au
sein de trois opérateurs, l’un filiale de SFR, un autre filiale de Bouygues et
enfin un indépendant comme nous. Nous ne sommes donc pas dans une situation de
multiplicité de petits opérateurs locaux, et cela m’étonnerait que cela arrive.
Je
suis donc un peu méfiant sur les appels à projets, mais oublions les termes.
Nous avons recommandé un certain nombre de critères qui nous paraissent de
nature à faire fonctionner un plan d’ensemble pour les zones 2 et 3.
Certains sont remplis, d’autres sont loin de l’être.
Le
premier critère est effectivement de faire appel à l’initiative des collectivités, ceci dans un cadre précis. Elles
ont été moteur dans le développement du haut débit pour tous, et elles vont
manifestement avoir un rôle critique à jouer dans le développement du très haut
débit pour tous. Elles peuvent faire des schémas directeurs avec l’aide de la
Caisse des Dépôts par exemple. Elles peuvent impulser les projets. Pour les
cofinancer, aujourd’hui tout le monde dit qu’il n’y a plus d’argent, mais il
faut regarder cela dans la durée, cela restera donc une possibilité. Et puis
elles peuvent jouer un rôle fondamental pour que tout le monde se mette
d’accord, éviter l’écrémage de certaines zones ou qu’il y ait de la
mutualisation très efficace mais uniquement à certains endroits et rien
ailleurs. Le rôle des collectivités semble se dégager dans le plan et cela nous
paraît un critère en phase d’être rempli.
Le
deuxième critère est la neutralité.
C’est la raison pour laquelle les réseaux d’initiative publique ont fonctionné.
Je rappelle qu’il y avait une dizaine d’opérateurs quand nous avons commencé à
ouvrir des réseaux. Aujourd’hui, il y en a une cinquantaine, c’est un grand
succès, et lorsqu’on parle de la concurrence, ce n’est pas juste entre 3 ou
4 grands opérateurs, c’est la possibilité pour tout le monde de faire des
offres compétitives. La neutralité est donc extrêmement importante et la seule
façon de l’assurer est d’éviter qu’un réseau à destination de tous les
opérateurs ne soit contrôlé par un opérateur. Il faut qu’aucun opérateur de
détail ne puisse contrôler un réseau mutualisé. Le schéma de co-investissement
peut fonctionner, puisque dans ce cas il n’y a pas d’opérateur unique qui contrôle.
Il faut donc que cela figure dans le plan : pour qu’un projet soit
accepté, il est nécessaire qu’il ne soit pas contrôlé par un opérateur de
détail. Cela me parait un critère essentiel. Il y a un pays qui est en train de
déployer du FTTH de façon très intensive et qui va y arriver au bénéfice de
tout le monde, c’est Singapour : ils ont simplement décrété que l’aide
d’Etat qu’ils apporteraient ne pourrait pas être donnée à un opérateur de
détail contrôlant le projet. Ils ont donc forcé les gens à s’associer en disant
que personne ne peut détenir plus de 30 % du projet.
Le
critère suivant, c’est la normalisation.
Je suis tout à fait d’accord, c’est une aberration de penser qu’il peut y avoir
des réseaux complètement différents avec des spécifications techniques diverses
et que cela va permettre aux grands opérateurs de se déployer. Il est évident
qu’ils ont besoin, et même les petits opérateurs, de standardisation et
d’économie d’échelle. Il y a un peu de procès d’intention lorsque j’entends
qu’il y a plein de réseaux différents et que cela ne peut pas marcher.
Justement l’expérience des réseaux d’initiative publique dans le domaine de
l’offre aux entreprises ou des zones d’activité est tout à fait positive. Nous
avons demandé à chaque opérateur ce dont il avait besoin, de quelles
spécifications techniques, et c’est à nous de faire l’effort d’adapter les
spécifications techniques et les systèmes d’information à ses besoins, et non
pas de lui dire que s’il veut raccorder nos prises il va lui falloir changer tout
son système d’information ! C’est normal, cela ne nous fait pas peur et
doit être pris en compte dans le projet. Il faut quand même que quelqu’un se
charge du travail de normalisation ; cela peut être l’Arcep, ils font un
bon travail mais à un rythme tel que les choses ne peuvent pas démarrer
rapidement. Cela peut être un travail direct entre opérateurs qui se mettent
d’accord sur des spécifications, mais nous savons aussi que cela est compliqué
puisqu’en général chacun fait en sorte d’être un peu incompatible avec les
autres sur tel ou tel critère de façon a générer de la concurrence. Il faut
donc trouver la bonne modalité, mais ce travail de normalisation et de
standardisation, nous l’appelons de nos vœux et nous ferons les adaptations
pour être compatibles avec les besoins des opérateurs.
Le
dernier point est l’aspect financier.
Nous sommes tous convaincus qu’à terme, 100 % des accès seront sur du
FTTH, mais il y a quand même un passage difficile pour tout le monde, c’est la
migration du cuivre vers le FTTH : c’est compliqué pour l’opérateur
historique, pour les opérateurs alternatifs, et pour les opérateurs mutualisés
ou neutres, puisqu’il y a un moment donné où il faudra quand même attendre que
la migration se fasse. C’est là que le rôle du financement public est
absolument essentiel, pour aider à passer ce cap. Et ensuite, du fait que tout
le monde basculera naturellement sur les réseaux de fibre, il y aura une
rentabilité qui permettra de rembourser les investissements initiaux, voire
même une partie des investissements publics qui seraient sous forme de
subventions.
En
résumé, nous proposons un certain nombre de critères qui se basent sur
l’expérience des réseaux d’initiative publique et la prolonge dans le cadre du
FTTH. Nous pensons que cela peut marcher. Il faut être volontariste dans le
cadre d’un plan d’ensemble plutôt que de microprojets, cela permettrait à la
France de garder et consolider son avance en matière de très haut débit.